Beaucoup accusent Elon Musk de sympa­thi­ser avec les nazis. Mais la vérité est sans doute plus terre à terre, selon les experts.

Lorsque le milliar­daire de la tech­no­lo­gie Elon Musk a semblé effec­tuer un salut nazi devant une foule répu­bli­caine hono­rant l’in­ves­ti­ture du président améri­cain Donald Trump, les réseaux sociaux se sont illu­mi­nés d’ac­cu­sa­tions selon lesquelles il était un fasciste.

Lorsqu’il s’est adressé à un rassem­ble­ment poli­tique du parti d’ex­trême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) dans la ville alle­mande de Halle, ces soup­çons ont semblé confirmés.

« On met trop l’accent sur la culpa­bi­lité passée et nous devons passer à autre chose », a‑t-il déclaré, depuis un écran vidéo géant.

La foule l’a applaudi lors­qu’il a déclaré : « C’est bien d’être fier d’être alle­mand. C’est bien d’être fier de la culture alle­mande, des valeurs alle­mandes, et de ne pas perdre cela dans une sorte de multi­cul­tu­ra­lisme qui dilue tout. »

Et ils ont applaudi encore plus fort lorsqu’il a accusé les sociaux-démo­crates au pouvoir d’adopter une « approche tota­li­taire » de leurs croyances, et a terminé par « La liberté d’expression est le fonde­ment de la démocratie ».

La chef du parti, Alice Weidel, a souri large­ment depuis la tribune et a applaudi.

Elon Musk est-il un nazi ?

Les nazis semblent le penser. Les natio­na­listes chré­tiens, les supré­ma­cistes blancs et les néona­zis avoués aux États-Unis ont tous salué le salut d’Elon Musk comme un retour histo­rique pour leur cause.

Les préoc­cu­pa­tions publiques d’Elon Musk sur sa plate­forme de messa­ge­rie X sont assu­ré­ment liber­taires. Il fulmine contre la sur-régle­men­ta­tion et le gaspillage gouver­ne­men­tal et est obsédé par la libé­ra­tion du poten­tiel du marché et des individus.

Il est irrité par ce qu’il consi­dère comme une immi­gra­tion incon­trô­lée et une cohé­sion cultu­relle déloyale. Il semble croire que chacun devrait rester là où il est né – bien qu’il ait lui-même émigré d’Afrique du Sud au Canada en 1988.

En corol­laire, il insiste sur les rôles binaires des sexes comme moyen d’inverser le déclin démo­gra­phique dans les écono­mies développées.

Et il joue constam­ment sur le thème de la liberté d’expression, insis­tant sur le fait que les socié­tés démo­cra­tiques sont hypo­crites lorsqu’elles prétendent la défendre.

De manière contro­ver­sée, il a effec­ti­ve­ment, à une occa­sion en 2023, approuvé une publi­ca­tion anti­sé­mite sur X.

Le message disait en partie : « Les commu­nau­tés juives (sic) ont poussé exac­te­ment le type de haine dialec­tique contre les Blancs qu’elles prétendent vouloir que les gens arrêtent d’utiliser contre elles. »

Musk a alors répondu : « Vous avez dit la vérité. »

Est-ce que tout cela fait de lui un nazi ?

« Non, il n’est pas [un nazi] », a déclaré Jean-Yves Camus, codi­rec­teur de l’Observatoire de la radi­ca­lité poli­tique à la Fondation Jean Jaurès à Paris. Il estime que Musk et Trump sont plus inté­res­sés qu’idéologiques.

« Le type de régime qu’ils veulent instau­rer ressemble à une auto­cra­tie, un État de droit dirigé par un seul homme, sans fron­tières. Ils n’ont pas de fron­tières », a‑t-il déclaré à Al Jazeera.

« Je crois qu’il est idéo­lo­gi­que­ment désta­bi­lisé », a reconnu Constantinos Filis, qui dirige l’Institut des affaires mondiales à l’Université améri­caine de Grèce.

« Je ne vois pas de pensée poli­tique cohé­rente », a déclaré Filis. « Ses pensées découlent de ses inté­rêts commer­ciaux et de diverses idées qui circulent. Je veux dire, quelle opinion réflé­chie de l’Allemagne ou de l’AfD conduit Musk à décla­rer qu’il va sauver la planète ? »

Filis faisait réfé­rence au commen­taire d’Elon Musk à Halle : « Ces élec­tions qui se déroulent en Allemagne sont extrê­me­ment impor­tantes. Elles pour­raient déci­der du sort de l’Europe entière, et peut-être même du sort du monde. »

Si Musk n’est pas un véri­table nazi, pour­quoi les diri­geants de partis d’extrême droite comme Weidel et le leader du Parti réfor­miste britan­nique, Nigel Farage, réclament-ils son soutien ?

« Il est clair qu’ils veulent son argent… et à travers X, Musk leur donne un espace pour s’exprimer », a déclaré Filis. « À travers de faux comptes, il peut aussi leur donner l’apparence d’un soutien de personnes qui n’existent peut-être pas. »

Elon Musk a égale­ment un bon contact avec sa base. « Les anti-systèmes… voient un homme d’affaires pros­père qui semble avoir réussi en tant qu’outsider. C’est ce que Musk vend, qu’il a réussi et qu’il va à l’encontre du système », a déclaré Filis.

Si Musk n’est pas idéo­lo­gique, pour­quoi se donne-t-il la peine de cour­ti­ser l’ex­trême droite ? Ce n’est pas donné. Il aurait versé 277 millions de dollars à la campagne de réélec­tion de Trump, et Twitter, rebap­tisé X, lui aurait coûté 44 milliards de dollars.

Make America Greedy Again

Mais les clés de son succès ne viennent pas de la poli­tique d’extrême droite de Donald Trump, « Make America Great Again ».

Un prêt de 465 millions de dollars qui a permis à Tesla de rester à flot est venu du minis­tère de l’Énergie en 2009 sous l’an­cien président améri­cain Barack Obama, et un contrat de 1,6 milliard de dollars de la NASA qui a égale­ment sauvé sa société de fusées Space‑X de la ferme­ture après trois échecs de lance­ment est venu en 2008 sous George W Bush, un président répu­bli­cain qui a dénoncé la poli­tique MAGA.

Certains pensent que la poli­tique d’Elon Musk est tota­le­ment cynique.

« Il semble avoir fait une analyse coûts-béné­fices de l’argent qu’il peut gagner en soute­nant les anti-systèmes plutôt que les autres », a déclaré Filis. « De plus, dans un pays où les insti­tu­tions fonc­tionnent, un homme d’affaires a de faibles marges béné­fi­ciaires. Dans une société indis­ci­pli­née où le capi­ta­lisme est débridé, il a évidem­ment beau­coup plus à gagner. »

L’intérêt d’Elon Musk pour l’Europe pour­rait simple­ment avoir pour but de semer le chaos dans sa poli­tique écono­mique et indus­trielle, estime Filis.

« Il pour­rait bien voir des concur­rents qu’il voudrait élimi­ner. L’industrie auto­mo­bile alle­mande n’est pas encore au meilleur de sa forme, mais elle peut repré­sen­ter un défi pour Tesla. »

Si Musk a joué un rôle déter­mi­nant dans l’élection de Trump, peut-il réus­sir le même exploit en Europe ?

Camus estime que le natio­na­lisme de droite joue en réalité contre Elon Musk en France. « Certains [partis] sont telle­ment natio­na­listes qu’ils commencent à se deman­der : ce que fait le président Trump est peut-être bon pour les États-Unis, mais est-ce bon pour nous ? » a‑t-il déclaré.

« C’est pour cela que Marine Le Pen [chef de file du Rassemblement natio­nal d’extrême droite] n’a pas assisté à l’investiture de Trump. Comment peut-elle se rendre dans une ville fran­çaise moyenne et expli­quer aux élec­teurs de la classe ouvrière que le président Trump impose des droits de douane sur les produits fran­çais, ce qui repré­sente mille emplois en moins pour nous ? C’est impossible. »

Source : Al Jazeera

Fabien Perez